On est en 1927...
Jules Beaune,
marinier de son état, rêve d'un bateau neuf
Il a assez d'argent pour se
faire construire un «Freycinet» en beau chêne de la forêt de Tronçais, qui
transporterait 280 tonnes sur le canal, voire même à l'international
Une histoire de devises
Mais, Jules est berrichon pure souche et il aime à travailler sur
son étroit canal de Berry, avec son vieux « bé d'cane » qui prend l'eau
maintenant.
Ce canal, c'est son univers, sa famille.
Lorsqu'il doit pomper,
la nuit, il ne songe certes pas à faire le réseau international, mais rêve
plutôt d'un bateau en vrai fer, qui serait tout-à-fait étanche !
Un Freycinet
en acier, quoi ! Seulement, il lui faudrait emprunter beaucoup d'argent
pour faire construire une telle unité, et aussi quitter son cher canal au
tout petit gabarit.
Alors, assez tergiversé, il fera construire un autre bé d'cane, en
acier s'il vous plait!
Et avec son rutilant Bernard diesel de 25 cv, ce petit bijou sera le
«Normandie» du canal de Berry, transportant vaillamment 60 tonnes de
frêt sur le petit canal, et jusqu'à 100 tonnes sur le grand.
La construction
débute au chantier de St. Denis sur Seine. 27 mètres de long par 2 m
60. On n'a pas l'habitude de voir construire un bateau si étroit et les
railleries vont bon train. Ce ne sont que : «-Il va se retourner comme une
crêpe quand tu seras vidange !», ou «-C'est donc ton mulet qui t'as
fait les plans?» ou encore «-C'est'y donc pour charger qu'une allumette?».
C'est le père Balouzat, fin saoûl, comme à l'accoutumée, qui portera l'estocade
finale, en lui postillant « - Tu fais construire une nullité, sais-tu?».
Et voilà comment la devise du bateau fut trouvée. Il s'appellera donc «Nullité».
Après tout, çà lui portera bonheur, comme ses confrères de la «Dette flottante»,
du «Volontaire malgré lui»,
de «Malgré ma misère»,
du «Peine à vivre» ou
du «Cà vous épate».
1953
Les devises prétentieuses ne portent pas chance aux bateaux, à ce
que l'on dit. «L'inexplosible» explosa,
«L'indestructible» fut démarquisé
par le mât d'un petit voilier sur la Somme,
et le «Stable» transportant 250
tonnes de sel, se retrouva vautré dans un champs au milieu des vaches, après
que la berge du canal de Briare eut partiellement cédé.
L'infortuné propriétaire
choisit par la suite une devise plus modeste «L'instable» pour son nouveau
bateau !
Dans les années 1950, Serge et Irénée Bouquin ont repris le «Nullité»,
avec lequel ils ont si bien travaillé qu'ils ont pu s'offrir un magnifique
Freycinet, et une maison à St. Mammès au 13, rue Des Trop Chères ( ! )
1987
Le couple de potiers qui a restauré le "Nullité" n'a pas eu l'audace de
conserver ce nom à consonnance péjorative, leur bateau étant destiné à exposer
leurs créations. Répondre aux questions qui n'auraient pas manqué d'être
posées, aurait été trop long et fastidieux.
Ce passé-là ne concerne que les initiés.
Il lui restait donc à lui trouver une nouvelle devise, modeste,
courte et explicite. Ce fut " Berrichon " tout simplement, et sans ambiguité.
On évita le "Berry", qui, inscrit 2 fois côte à côte à la proue, sonnait
maladivement.
On évita aussi le "Genti-Berry", qui aurait fait penser à un
ancien maire de capitale.