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Pourtant les raisons sont multiples : le réseau de voies à grands gabarits est beaucoup plus faible en France qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas, ce qui aboutit à concentrer en France 80% du trafic de marchandises sur 23,5% du réseau.
Par ailleurs le réseau est faiblement interconnecté et trop diversifié obligeant à multiplier les ouvrages d’art (1 767 écluses pour VNF contre 335 pour l’ensemble de l’Allemagne).
Enfin, le réseau français est trop faiblement connecté aux ports maritimes, 13% des marchandises arrivant par le Havre partiront par voie fluviale contre 40% à Anvers ou Rotterdam et faiblement ouvert à l’international (52% en France contre 81% en Allemagne).
En conséquence, le trafic fluvial demeure résiduel par rapport à la route : 3% contre 12% en Allemagne ou 33% aux Pays-Bas, car il se révèle à l’usage beaucoup plus cher avec un différentiel de près de 3,11 € la tonne entre la route et la voie d’eau [3]. En cause notamment, la politique de rémunération de l’opérateur par voie de péages (3% des recettes pour 11,678 millions d’€ encaissés en 2008) quand les concurrents internationaux pratiquent une politique de gratuité du réseau fluvial « par choix économiques (…) [ou] en raison des traités internationaux. » [4]
Sur le plan organisationnel ensuite, l’administration du domaine fluvial apparaît divisée : VNF en effet ne contrôle pas l’ensemble du réseau fluvial français, il doit pour cela partager le réseau avec la CNR (Compagnie nationale du Rhône) qui gère jusqu’en 2023 la concession d’exploitation de la navigation du fleuve, et EDF sur le Rhin qui est le gestionnaire de 80% des sites du côté français. A ce premier éclatement fait suite un second, puisque VNF ne maîtrise pas l’ensemble de sa masse salariale : en effet, si l’opérateur dispose de 360 personnes rémunérées sur son propre budget pour un coût global de 20 millions d’€, il faut également y ajouter les 4 600 fonctionnaires mis à disposition par la Direction des transports du Ministère de l’environnement, qui eux représentent une masse salariale évaluée à 180 millions d’€ par an. Or ces personnels affectés restent sous l’autorité hiérarchique de leur administration d’origine et VNF ne dispose donc d’aucun pouvoir de gestion sur eux [5].
Il en résulte une gestion globale des ressources humaines erratique sans que l’opérateur ne puisse reporter les gains de productivités éventuels (2% par an suivant le contrat d’objectifs et de moyens 2005-2008) et baisser les effectifs à due concurrence puisque par ailleurs contrairement aux chiffres avancés, il n’en connaît pas le nombre et la répartition exacte.
Ce manque d’autonomie se retrouve également au sein du « maillage » administratif de la voie fluviale. En clair, les directions territoriales se comportent de façon largement autonome par rapport au centre de décision de l’opérateur, le découpage des circonscriptions administratives fluviales ne correspondant d’ailleurs pas avec le maillage administratif général, ni même avec les itinéraires fluviaux. Ainsi les 13 directions territoriales placées sous l’autorité des préfets (6 services de navigation spécialisés et 7 directions départementales de l’équipement (DDE)) sont incapables d’encadrer les effectifs dont ils disposent.
Dans le cadre de l’évaluation de leurs performances, certaines d’entre elles ont même refusé le dispositif de suivi d’indicateurs de performances proposé, sachant par ailleurs que 30% desdits indicateurs se sont avérés totalement inefficaces et mal calibrés [6]. Il n’est donc pas étonnant dans ces conditions que le bilan des contrats de bassin passés par VNF soient très mal renseignés au plan statistique et les objectifs économiques noués avec les ports maritimes très insuffisamment remplis.
A titre d’exemple « les relations bilatérales avec Rouen ou Le Havre (…) se sont limitées au dénominateur commun le plus restreint du contrat, à savoir les échanges de statistiques. » Tandis que VNF « ne dispose que d’une faible connaissance de la stratégie de développement de ses concessionnaires, de l’activité économique et de la situation financière des ports intérieurs. »
Afin de remettre de l’ordre dans la gestion de l’opérateur la mission d’audit propose de renforcer la spécialisation et la professionnalisation des métiers propres à la gestion fluviale (sur le modèle maritime très performant) notamment au titre de la fonction de maintenance pour laquelle actuellement les 2/3 des personnels employés ne sont pas formés. Elle propose en outre, un principe d’affectation directe de l’ensemble des agents auprès de l’opérateur de façon à ce qu’il recouvre la maîtrise de l’ensemble de la masse salariale et puisse être évalué sur les objectifs définis incombant à l’ensemble des opérateurs de l’Etat. A ce titre, les départs à la retraite sont actuellement estimés à 800 ETP à l’horizon 2013 et à 1 800 vers 2018.
Cette opportunité peut en conséquence être saisie pour moderniser et adapter l’organisation administrative de la voie d’eau et surtout redimensionner les réseaux fluviaux dépendant de l’Etat. A cet égard la mission propose trois scénarii différents suivant que l’on conserve la taille du réseaux sous administration de l’opérateur en l’état ou que l’on déclassifie un certain nombre de voies d’eau, avec les gains budgétaires et en emplois afférents. La déclassification permettant de faire passer les voies d’eaux exploitées du domaine public au domaine privé et de les rendre ainsi cessibles aux collectivités locales (avec intégration dans le patrimoine privé), sans transfert de charges publiques [7] ou à des personnes privées.
En effet, ainsi que le relève le rapport, le réseau étant particulièrement étendu, il se dégrade assez vite et imposerait sinon des investissements lourds difficilement valorisables commercialement : 66% des barrages et 54% des écluses présentant des risques de défaillances, sachant par ailleurs que dans le cadre du plan d’investissement 2009-2013, c’est 1,4 milliard d’€ supplémentaire qui aurait dû être débloqué en cofinancement par l’Etat et les collectivités locales.
En conséquence le rapport adopte la démarche responsable consistant à proposer de déclasser pour 1 350 km de voies navigables représentant 27 voies en tout, induisant une réduction des effectifs de l’ordre de 454 ETP, et une contraction de 19% des voies navigables et des investissements redimensionnés à 1,18 milliard d’€. Reste à espérer que ce rapport ne finira pas enterré !
[1] Une telle politique est malheureusement courante chez VNF, avec la mise au placard très rapide du très sensible rapport Boulot en 2004 sur la gestion du bassin fluvial de l’île de France, vite remplacé par un rapport plus accommodant de l’Inspection générale des Ponts et Chauttssées…
[2] Rien que pour les années 2005-2015, pas moins de 4,870 milliards d’€ auront été injectés par l’Etat, hors mesures complémentaires décidées dans le cadre du COM 2009-2013 (1,4 milliards).
[3] Voir rapport de suivi 1996-2007 de la politique de transport réalisé par le MEEDM.
[4] Rapport p.8.
[5] D’où la condamnation en justice de VNF comme employeur de fait, voir, Jugement du tribunal correctionnel de Meaux, 13 janvier 2009.
[6] Par exemple l’indicateur destiné à mesurer l’animation par l’opérateur du trafic fluvial a débouché en pratique sur un indicateur de mesure du trafic, ce qui constitue un dévoiement complet du dispositif de mesure.
[7] Contrairement aux transferts permis dans le cadre de la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.